G8 à Deauville : silence, on tourne !

Si ce n’est du fait de l’absence annoncée de DSK, le sommet du G8 qui se tient à Deauville dans quelques jours n’intéresse ni les médias, ni les politiques. La France accueille les 26 et 27 mai le festival des huit pays les plus riches du monde. Elle n’a certainement pas intérêt à attirer la lumière sur ce club des tout-puissants, contre lequel se mobilisent les mouvements sociaux depuis les années 80. Mieux vaut réserver les caméras pour le G20 de Cannes de novembre prochain et les promesses qui l’accompagnent : la régulation du système monétaire international et de la finance, la lutte contre la volatilité des prix et la corruption, le soutien de l’emploi et du développement... Un sommet sensé être un peu plus légitime que le G8 car rassemblant douze pays supplémentaires. Un sommet de la dernière chance pour le président de la République, à quelques mois des élections, qui espère redorer son image grâce à l’international.

On aurait tort, cependant, de considérer le G8 comme un vestige du passé. Il se tient cette année sous l’insistance de Nicolas Sarkoy. Et pour cause : les pays du G8 ont des intérêts bien spécifiques et pour rester les plus riches, il faut qu’ils s’organisent. En témoigne l’agenda du sommet. L’internet sera à l’honneur et avec lui, les grand patrons invités de Facebook, Amazon et autres blockbusters de l’internet, pour discuter en particulier des droits de propriété intellectuelle, indispensables dans leur stratégie d’expansion mondiale. Le site officiel du G8 de Deauville l’affirme : "l’innovation et la croissance verte constituent des gisements essentiels pour l’économie et l’emploi des pays du G8 et pour rehausser leur potentiel de croissance". Le "partenariat avec l’Afrique", au-delà des objectifs de développement qui n’ont jamais été tenus par les G8 précédents, encouragera le "développement du secteur privé, moteur de la croissance en Afrique". Le décor est planté : l’environnement et l’Afrique comme nouveaux terrains d’accumulation du capital, nouveaux moyens d’étendre les marchés et d’augmenter les profits des puissances économiques du G8.

D’autres sujets ont percuté l’agenda. Après la catastrophe de Fukushima, le G8 discutera du nucléaire, avec comme hôte la France, première productrice de nucléaire au monde, et comme conseillère la Russie, qui viendra présenter un rapport sur la sûreté nucléaire. Nous voilà rassurés. L’enjeu sera de relégitimer le nucléaire, face aux idées de développement d’énergies renouvelables ou de sobriété énergétique, ô combien néfastes pour nos champions de l’industrie nucléaire. Le G8 entend aussi discuter des printemps arabes. Mais sous couvert d’aide à la transition démocratique, il s’agira surtout de négocier, avec les gouvernements provisoires, des accords de coopération économique en échange de mesures restrictives sur les flux migratoires. Le G8 craint la mise en place d’un modèle économique qui ne soit pas dans ses intérêts et espère profiter des milliards d’investissements potentiels dans ces nouvelles démocraties. Vingt-et-un économistes de renommée mondiale viennent d’ailleurs d’appeler le G8 à un plan de relance de l’économie tunisienne, confiant à ces huit pays l’avenir économique et social des tunisiens.

Il y a peu de suspense pour le sujet favori du G8 : la sécurité contre les terroristes, trafiquants, clandestins et étrangers, tous amalgamés pour devenir des boucs-émissaires et canaliser les colères des populations précarisées. Le G8 n’est pas seulement un grand festival : le travail de l’ombre et les multiples tractations qui l’accompagnent instiguent une gouvernance de la peur, un ordre sécuritaire mondial, par le renforcement des lois sécuritaires. Ces huit pays qui représentent les trois quarts des dépenses militaires mondiales entendent également décider seuls de la guerre et de la paix dans le monde. À l’ordre du jour de Deauville figurent les conflits armés où sont déjà engagés les alliés, l’Irak, l’Afghanistan et certainement la Libye, où, rappelons-le, l’intervention militaire fut réellement décidée lors du G8 des ministres des affaires étrangères de mars dernier.

L’organisation même des sommets du G8 est à l’image de ces politiques sécuritaires et guerrières et n’aura rien d’un gentil festival. Tous les contre-G8 ont été l’occasion de dispositifs sécuritaires disproportionnés, de provocations et de violences policières. À Deauville, les habitants des quartiers bouclés sont déjà tous fichés par la police et l’ultra-sécurisation prévue entretient une psychose générale. Refusant d’entrer dans ce jeu-là, un collectif de quarante organisations, syndicales, associatives et politiques, organisera en opposition au G8 un rassemblement international et un "forum des alternatives" le week-end des 21 et 22 mai. Le plus grand danger pour le G8 étant certainement le "happy end" qu’espèrent ces mouvements sociaux : que les grandes décisions du monde soient prises démocratiquement par tous les pays, au nom des peuples et dans leur intérêt. Et non pas dans celui des multinationales, de la finance et des plus riches, qui ont encore tant à gagner de cette gouvernance mondiale.

Aurélie Trouvé est aussi co-auteure du livre d’Attac "Au mépris du monde : G8-G20 et peuples en lutte", Les Liens qui Libèrent, Paris.