5 Octobre 2017 20h CINÉMA À ANTIGONE : Au coeur de la tempête

Au coeur de la tempête (Storm center) VOST
Réalisation : Daniel Taradash
USA, 1956, 86 mn, NB, format : 1.37 : 1
Avec Bette Davis, Brian Keith, Kim Hunter, Paul Kelly, Joe Mantell, Kevin Coughlin...
Générique et affiche de Saul Bass

Au sortir de la seconde guerre mondiale, une offensive sans précédent est menée par une commission de la Chambre des représentants, la HUAC (House Un-American Activities Committee) et par le Sénateur Joseph McCarthy, contre toutes les formes d’expression hostiles au capitalisme américain triomphant. Ce sera l’instauration de la Liste Noire (jusqu’à la fin des années 60), les auditions, les procès, les emprisonnements, la mise au chômage, de milliers de personnes, bref ce que l’on a appelé le Maccarthysme, La chasse aux Sorcières. Dans ce contexte, en juillet 1950, suite à l’accusion par un comité de citoyens vigilants d’avoir introduit des ouvrages et périodiques communistes, et à son refus de les retirer, la directrice de la Bibliothèque publique de Bartlesville, dans l’Oklahoma, Miss Ruth Brown, est licenciée.
Dès l’automne, Daniel Taradash et Elick Moll, rédigent la première mouture d’un scénario, inspiré de cette affaire. Le projet de ce qui deviendra Storm center démarre, le film doit s’appeler The Library (La bibliothèque) et avoir une gloire du muet comme actrice principale, Mary Pickford. Une violente campagne de presse contre le projet fera qu’il n’aboutira qu’en 1956 avec le titre que nous lui connaissons et un autre casting. En 1956, au moment où McCarthy commence à être ouvertement critiqué.
Tourné à l’automne 1955 dans et autour de la Free Public Library de Santa Rosa en Californie (celle où Hitchock avait tourné L’ombre d’un doute (Shadow of a doubt) en 1943) ce film étonamment courageux fut réalisé grâce au soutien immédiat de Bette Davis et du producteur de La flèche brisée, Julian Blaustein. Il fut le seul film réalisé par Daniel Taradash. Ce dernier reste avant tout connu pour être un scénariste, celui de films célèbres tels que Les Ruelles du malheur (1949) de Nicholas Ray, L’ange des maudits (1951) de Fritz Lang, Tant qu’il y aura des hommes (1953) de Fred Zinnemann (film pour lequel il remporta l’Oscar du meilleur scénario)...
Le film est condamné lors de sa sortie par la National Legion of Decency, une influente ligue catholique de pression, qui réactiva à cette occasion une catégorie n’ayant servie que 2 fois dans son existence, pour ce film et en 1938 pour le seul film américain à avoir évoqué la Révolution espagnole : Blocus (Blockade) de Dieterle ; une catégorie à part qui qualifie le film de film de propagande.
Après un échec commercial orchestré aux USA, le film est oublié. Pourtant Storm center (Au coeur de la tempête) est sorti en France lors du Festival de Cannes 1956, où il fut le 1° lauréat d’un prix créé cette année là par Le Canard enchaîné, le Prix Chevalier de la Barre, destiné à récompenser annuellement une œuvre cinématographique qui « exaltait l’esprit de tolérance et de fraternité humaine ou dénonçait l’intolérance et l’injustice de quelque origine qu’elles soient ». Ressorti confidentiellement (en 35mm VO sous-titré en numérique pour l’occasion) lors de la rétrospectique Bette Davis à la Cinémathèque française en 2013, le film reste ignoré des éditeurs de DVD français.
Storm Center est le 1° film à s’attaquer frontalement au Maccarthysme ; même si bien sûr d’autres oeuvres s’y étaient déjà attaquées, de manière allégorique, dès 1952, comme Les Sorcières de Salem d’Arthur Miller (adaptées au cinéma en 1957 par Raymond Rouleau avec Montand et Signoret), ou en 1953 Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (que Truffault mettra en scène en 1966), ou encore en 1954, Quatre étranges cavaliers (Silver Lode) d’Allan Dwann où le méchant s’appelle McCarthy (film passé il y a quelques années au Ciné-Club d’Antigone)...
Si le thème principal du film, loin de se cantonner au fait historique, est la censure et les modalités politiques de son application, d’autres questions touffues en ressortent, comme celles du rôle de la lecture, de l’action quotidienne des bibliothèques et bibliothécaires dans l’éducation populaire (en particulier celle des jeunes), dans le développement du sens critique, de l’influence des adultes, de leurs manipulations, des relations de pouvoir,... Une question émerge aussi, qui nous concerne tous dans nos pratiques et réactions : celle que recouvre la phrase : Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ?
Alors même qu’Antigone est d’abord une bibliothèque, et à l’heure où une lutte des bibliothécaires de Grenoble est engagée pour défendre le rôle et la richesse d’un réseau local, il est important de pouvoir redécouvrir un film à même de susciter de nombreuses pistes de réflexion.