Podemos en Espagne et le FN en France

Selon la plupart des analystes, Podemos vient de « bousculer l’échiquier politique » bien enraciné de l’Espagne.
Certes Podemos n’incarne pas une gauche radicale, et sa posture ne promet pas de « renverser la table ». On ne peut cependant pas ignorer cette évolution majeure, et singulièrement en France, la montée du Front National nous incite à nous poser quelques questions...

On peut qualifier les résultats électoraux de succès pour la formation Podemos, qui a recueilli plus de 20 % des voix aux élections législatives espagnoles du 20 décembre 2015. Deux ans à peine après sa création, le parti se place en 3e position, juste derrière le Parti socialiste (22 %) et les conservateurs du Parti populaire (28 %), ce dernier perdant la majorité absolue. D’où vient le phénomène Podemos ? Quelles sont ses propositions ? Comment s’explique ce succès fulgurant ? Comment la gauche française peut-elle s’en inspirer ?
Origine et structure de Podemos
Les militants et cadres sont quasiment tous d’anciens militants déçus d’Izquierda Unida (Gauche unie), une coalition de gauche formée en 1986 autour du Parti communiste espagnol. Ils ont étudié les expériences latino-américaines de prise de pouvoir de la gauche par les urnes au Venezuela, en Bolivie et en Équateur, mais ne s’interdisent pas un point de vue critique.
Mais on y trouve également des militants de l’organisation Gauche anticapitaliste, l’équivalent espagnol du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) français.
Il s’est enfin enrichi de gens issus du mouvement de lutte contre les expulsions immobilières. Ceux-ci se rendent compte des limites des manifestations contre les banques qui procèdent aux expulsions et cherchent une solution institutionnelle. Ils se sont souvent politisées pendant le mouvement des Indignés. Pensé en amont, le projet Podemos s’appuie sur l’espace ouvert par cette mobilisation.
Des propositions nouvelles
Podemos prône un tournant dans les politiques économiques d’austérité vers davantage de redistribution sociale. Il propose un « plan de sauvetage des citoyens » à l’image du plan de sauvetage des banques espagnoles : empêcher les expulsions de logement face à l’incapacité de nombreux ménages à rembourser leur crédit immobilier ; garantir l’accès à l’eau, consolider le droit à la santé et à l’éducation, autant de secteurs frappés par de lourdes coupes budgétaires. Pour financer son plan de sauvetage des citoyens, Podemos défend une réforme fiscale avec une véritable progressivité de l’impôt sur les revenus, le patrimoine et les successions, et par un impôt spécial sur les banques.
Podemos a également proposé plusieurs mesures d’éthique politique comme l’interdiction du cumul des mandats. Ceux-ci sont aussi limités dans le temps : un mandat politique interne ou public est limité à huit ans.
Impact et électorat de Podemos
Podemos arrive à mobiliser très fortement les jeunes, traditionnellement réfugiés dans l’abstention, et les gens qui ne votaient pas ou plus. Jusqu’aux élections européenne, ceux qui votent Podemos ont plutôt un bon niveau social, sont diplômés et issus de la classe moyenne. Ensuite, alors que Podemos devient davantage visible médiatiquement, sa base sociale s’élargit et se diversifie. Comparé aux élections européennes, il a gagné près de quatre millions de voix et arrive premier en Catalogne et aux Pays basques.
L’effet Syriza
Le bras de fer qu’a subi la Grèce gouvernée par Syriza a eu des conséquences. Podemos s’inscrit en effet dans la même logique que Syriza : rester dans la zone euro et changer les politiques européennes par le rapport de force. Le fait que Syriza a échoué à infléchir d’un iota la politique européenne a donc joué contre Podemos. L’intransigeance de l’Allemagne et de la Commission européenne face à la Grèce était aussi, très clairement, un message envoyé aux Espagnols. Les médias et le Parti populaire ne se sont d’ailleurs pas privés de le relayer quand les banques grecques ont fermé temporairement : voilà à quoi mènerait une victoire de Podemos. Mais il est vrai que l’enjeu est d’une autre dimension : et le mouvement explique que, s’il accède au pouvoir, il pèsera bien davantage que Syriza car l’Espagne représente 12 % du PIB de la zone euro, contre 2 % pour la Grèce.
Néanmoins, cet effet retour de la « catastrophe de juillet 2015 » met en lumière l’absence d’une réponse forte, audible et à la hauteur du défi de la part des forces sociales dans l’ensemble de l’Union Européenne.
La stratégie de Podemos
Podemos visant l’accès au pouvoir par la conquête électorale, la question des alliances est la première à se poser, la droite ayant perdu la majorité absolue. Le leader de Podemos a multiplié les déclarations en ce sens : sur la lutte contre la corruption, nous pouvons nous mettre d’accord avec Ciudadanos, et sur les questions sociales, avec le PSOE, a-t-il assuré. Pourtant, selon ses déclarations, Podemos ne veut en aucun cas être une force d’appoint au PSOE. Le soir du scrutin, Pablo Iglesias a mis en avant trois conditions pour discuter avec les autres formations de possibles accords : inscrire les droits sociaux dans la Constitution, au même titre que les droits civils et politiques
Le front
Podemos a refusé d’adopter une stratégie type « front de gauche ». Il préfère mettre en avant le clivage entre ceux d’en bas et ceux d’en haut. Pour Pablo Iglesias et ses camarades, le clivage entre gauche et droite sert aux médias et aux partis traditionnels à les étiqueter comme « gauche radicale » pour les marginaliser et les disqualifier, et il ne permet pas de montrer qu’une alternative existe aux politiques d’austérité mises en œuvre par le PSOE et poursuivies par le PP.
Podemos a su également utiliser les média en investissant l’espace audiovisuel, la télévision en particulier. Ses militants la voient comme l’espace de socialisation politique le plus important pour les Espagnols. Ils ont d’abord créé leur propre émission de télévision, La Tuerka, sur un canal associatif. Cela leur a permis de se familiariser avec le mode de communication audiovisuel, plus court, plus incisif. Cette première visibilité va leur donner accès aux chaînes de la TNT, notamment les chaînes conservatrices en quête de contradicteurs issus du mouvement des Indignés. Pablo Iglesias va ensuite être invité régulièrement sur les plateaux des grandes chaînes généralistes.
Quels enseignements pour la « vraie » gauche Française ?
Tandis que partout en Europe des partis de droite extrême et xénophobes se renforcent, ce phénomène n’existe pas en Espagne. Podemos explique que c’est le Parti populaire qui inclut des courants héritiers du franquisme. C’est un parti de droite beaucoup plus conservateur qu’ailleurs, qui s’étend du centre-droit à l’extrême droite.
Reste la question pour nous lancinante : pourquoi, en Espagne, sont-ce les partis progressistes qui capitalisent sur le mécontentement pendant que, en France, c’est le FN ?
L’histoire des migrations n’est pas la même. Les vagues migratoires y sont plus récentes ; on peut même constater que l’Espagne est redevenu un pays d’émigration. Ensuite, il y a encore le poids du franquisme : la fin de la dictature ne date que de quarante ans.
Et surtout, pendant les mobilisations contre les expulsions de logements, Espagnols et immigrés étaient impliqués, ensemble, dans les quartiers. La solidarité s’est faite, quelle que soit l’origine des gens : Les Indignés et Podemos peuvent alors affirmer que la crise économique et sociale n’est pas la faute du voisin immigré mais des banquiers et des élus corrompus.
Cependant, l’émergence d’un « Nous pouvons » est assez improbable, en tout cas pas avec la même configuration. La question préalable à se poser est pourquoi il n’y a pas eu l’équivalent d’un mouvement des Indignés en France. La crise n’y a d’abord pas pris la même ampleur. En Espagne, le chômage dépasse 20 % depuis 2010 et a frappé un jeune sur deux. Des centaines de milliers de personnes ont été expulsées de leur logement. Les partis politiques qui se sont succédé au pouvoir, PSOE puis PP, pâtissent d’un très grand discrédit. Ils sont perçus comme coresponsables de la crise car ils ont été impliqués dans de nombreuses affaires de corruption. Il faut se souvenir qu’en France, en 2011, c’est encore Nicolas Sarkozy qui est au pouvoir. Nous sommes à un an de l’élection présidentielle. La plupart des militants de gauche espèrent alors un changement par les urnes. En Espagne, ils sont déjà dans une impasse électorale.
Il n’existe pas ici l’espace qui s’est libéré en Espagne. Enfin, il y a l’extrême droite qui a capitalisé le mécontentement face aux partis de gouvernement. Héloïse Nez, spécialiste des mouvements sociaux et auteur d’un ouvrage sur Podemos ne croit donc pas à un Podemos « à la française ».

La gauche radicale française a cependant des leçons à tirer de Podemos et peut à certains égards s’en inspirer. En adoptant par exemple un discours qui partirait du quotidien des gens, un discours plus simple – « au moins Marine Le Pen, on la comprend », entend-on souvent à propos du FN. Surtout, un discours qui transmette un message d’espoir. Podemos en use avec ses slogans comme « c’était quand, la dernière fois que vous avez voté avec espoir ? » La gauche française peut aussi sortir de l’entre-soi.
« Si on gagne comme les gens, on gouverne pour les gens », explique Podemos. Même Pablo Iglesias était précaire quand il travaillait à l’université, pour 900 euros par mois. Il faut cependant faire attention : Podemos n’a même pas deux ans. La réorganisation plus verticale du mouvement a suscité des contestations internes. L’enjeu est aussi, au-delà des échéances électorales, la pérennité et la démocratisation de Podemos.