Préambule
Rapide rappel de la complexité des systèmes
Comment créer la panique ?
Les arguments de réponse ne manquent pas
Pourquoi cette propagande ?
En quoi la fonction publique est-elle concernée ?
Peut-on imaginer des solutions ?
La discussion sur le système des retraites est plus que d'actualité. Je vais essayer de faire la liste des questions
posées et des idées qui fleurissent dans une offensive de propagande idéologique de grande envergure.
Les observations que je développerai ci-dessous renvoient à une documentation économique très abondante (cf.
en particulier M. HUSSON et P. CONCIALDI), mais l'argumentation doit aussi beaucoup aux discussions sur ce thème menées
dans le groupe de travail d'ATTAC, et en particulier à Marc OLLIVIER (SNCS-FSU).
Parmi les publications récentes allant dans le même sens, on peut rajouter l'article de H. GUAINO « Le rapport
Charpin c'est la rupture programmée du contrat social », Le Monde du 4-5/04/99 et l'ouvrage Les retraites au
péril du libéralisme, collectif, à l'initiative de la Fondation Copernic, (à paraître, éd.
Syllepse).
On peut trouver aussi un panorama des articles exprimant des orientations diverses et récemment parus, repris dans le n0 2608 de
Problèmes Économiques, (17 mars 1999, documentation française)
Les arguments ne manquent donc pas.
Ce papier sera donc limité. Il restreint son objectif à rappeler comment et quand se sont posés les
problèmes et qui sont les tenants des diverses propositions.
Rapide rappel de la complexité des systèmes
Pour ne parler que des salariés, une première distinction doit être soulignée celle qui différencie les
pensions de retraites des salariés du privé et les pensions des fonctionnaires civils et
militaires.
*Une première différence d'ordre technique, concerne les structures gestionnaires. Elles sont
compliquées parce qu'elles sont fonction des dates successives d'obtention des acquis sociaux des différentes
catégories. Pour les salariés du privé, il existe deux régimes de base (depuis 1930) : pour les
salariés agricoles et pour les autres salariés. S'ajoutent à ce dispositif, des régimes
complémentaires obligatoires ; les principaux sont I'AGIRC, pour les cadres (1947) et I'ARRCO, pour les non
cadres (constituée de 1962 à 1972). A cela peuvent-être rajoutés des régimes non
obligatoires, collectifs, décidés au niveau de l'entreprise, et constitués de surcotisation à
l'AGIRC ou à l'ARRCO. Enfin existent aussi, de longue date, des régimes supplémentaires,
collectifs et spécifiques, bénéficiant d'avantages fiscaux, décidés au niveau de l'entreprise
; les fonds ainsi collectés peuvent être gérés par l'entreprise elle-même, par une caisse propre de
retraite, par une caisse propre à la branche, par une compagnie d'assurances ou par une mutuelle. En outre rien n'interdit
au salarié de souscrire un contrat pour obtenir une rente auprès d'une compagnie d'assurances, une mutuelle, un
fonds de pension (assurance-vie, PER, etc...)
Pour les fonctionnaires, la situation est très différente.
Le régime est obligatoire, unique : pas de retraite complémentaire.
Mais, dans la Fonction Publique, il n'y a pas que des fonctionnaires. Nous savons bien qu'une bonne part des tâches est
assurée par des non titulaires. Ceux-ci relèvent donc du régime général de base et ont leur propre
caisse de retraite complémentaire : l'IRCANTEC (Institution de Retraite Complémentaire des Agents Non Titulaires de
l'État et des Collectivités). Ces personnels sont donc directement concernés par la discussion sur la soi-disant
faillite des caisses.
Les agents de l'État peuvent cotiser à des fonds de pension spécifiques, par adhésion individuelle
(PREFON, CREF ou CEGOS).
* On peut souligner une deuxième différence, découlant de la diversité des structures :
celle des modalités de calcul. La pension prend en compte le dernier traitement indiciaire (échelon occupé pendant
au moins 6 mois), alors que pour la retraite des salariés donnent lieu à points de retraite tous les éléments
de la rémunération : heures supplémentaires et primes, mais en revanche, seules les 25 meilleures années sont
prises en compte (auparavant, c'était plus favorable : 10 dernières ou meilleures). La retraite à taux plein est
acquise pour 150 trimestres de cotisations pour les fonctionnaires et pour 160 trimestres dans le privé. Pour tous, (sauf
régimes particuliers : conducteurs de trains SNCF, marins, mineurs, EDF - GDF, etc ... ), le départ à la retraite
peut intervenir dès 60 ans (y compris proportionnellement à la durée de cotisation, mais avec des
pénalités diverses), l'âge légal, restant fixé à 65 ans. Pour les fonctionnaires la limite
d'âge de 65 ans est non dépassable [sauf les profs du sup (mais pas les autres enseignants) qui peuvent aller
jusqu'à 67 ans]. Il existe un régime dérogatoire aux 65 ans : les instituteurs. Sans compter la
possibilité, renégociée chaque année, de la CPA.
* Mais la différence la plus marquante réside dans le mode de financement. Pour les salariés du
privé, la retraite est attribuée par répartition : les cotisations des actifs, calculées sur les salaires,
financent les pensions de retraite des retraités. Les trimestres de cotisation et le montant des salaires perçus servent de
base au calcul (notons que bien des caisses sont aidées par un financement de l'État).
Il en va différemment pour les pensions des fonctionnaires. Le montant de la cotisation (part salariale et part patronale) figure
bien sur nos feuilles de paye, mais cette inscription ne correspond pas à un versement d'argent à une caisse
spéciale : les pensions des fonctionnaires ne dépendent pas des caisses de Sécurité Sociale, ni de caisses
spécifiques obligatoires; l'État, en faisant cette inscription s'engage bien à verser une retraite, mais il
serait ubuesque que le caissier de l'État se verse de l'argent à lui-même (comme pour les biens,
l'État est son propre assureur). Donc la « cotisation vieillesse » est en fait un engagement de l'État
à verser la pension; ce qui a toujours été compris comme la poursuite du versement d'un traitement après
l'âge légal de retrait de l'emploi.
Comment créer la panique ?
La réflexion en termes d'équilibre des caisses de retraite du régime général ne date pas
d'aujourd'hui. Par exemple, le rapport pour le VIIIème Plan, Vieillir demain, pose le problème du vieillissement de
la population dès 1980 (mais analyse la capitalisation comme une régression sociale) ; ensuite, le Livre blanc sur les
retraites pose, en 1990, la question de l'équilibre à l'horizon 2010, mais par le détour de
l'hétérogénéité des taux de cotisation et de la solidarité entre les divers régimes.
Il prend en compte : la démographie, la législation, les taux d'activité et le chômage. Par la suite la
question est régulièrement suivie par le gouvernement. Ainsi, la direction de la prévision est-elle à
l'origine de différentes simulations concernant le régime des retraites. Le dernier scénario (au 5/4/99) est
celui proposé par le rapport Charpin, dont la presse a déjà publié les principaux éléments et
qui fait des projections jusqu'en 2040. Il constitue la dernière mouture des prévisions alarmistes sur
les régimes de retraite.
Le patronat est particulièrement actif dans ce débat, en particulier par la voix d'un de ses vice-présidents,
Denis KESSLER. Ce dernier ne cesse de faire du lobbying, prédisant la faillite des caisses, à cause du vieillissement de la
population et préconisant l'instauration d'un système par capitalisation géré par les assurances
privées.
Les calculs alarmistes montrent que les caisses de retraites ne pourront plus faire face au remboursement. en raison de la
dénatalité et du vieillissement de la population. Il convient alors de changer de régime et de passer de la
répartition à la capitalisation : au lieu d'avoir des retraites calculées et financées sur les
cotisations des actifs, une capitalisation préalable fera dépendre les retraites du rendement des portefeuilles
placés en actions et/ou en obligations. Mais les actifs d'aujourd'hui devront souscrire individuellement ou collectivement
aux fonds de pension (qui sont les institutions gestionnaires des cotisations). Ou alors (rapport Charpin), il faut allonger la
durée de cotisations, d'ici 2040, passer de 160 à 170 trimestres de cotisation (y compris pour les fonctionnaires, au
nom de « l'égalité » des salariés devant l'effort de cotisation). (Rappelons que E. Balladur a
augmenté, en août 94, de 150 à 160, le nombre de trimestres de cotisations pour avoir la retraite à taux
plein, pour les salariés du privé). Ou alors, un mixte de ces propositions peut être envisagé.
Les propositions de Martine AUBRY veulent instituer un « 3ème étage » des retraites, en instituant des fonds de
pension collectifs, et non obligatoires. Ce qui revient à dire que la décision est renvoyée au rapport de force
à l'intérieur des entreprises. Mais ces cotisations donneraient lieu à exonérations fiscales. Et comment
conserver la valeur de ces cotisations ?
Les arguments de réponse ne manquent pas
* La comparaison des systèmes
Tout d'abord, le régime par répartition répartit des prélèvements sur les salaires contemporains.
Mais il en va de même pour la capitalisation : elle répartit les produits des placements tels qu'ils apparaissent au
moment du versement des rentes. On ne répartit donc que de la richesse contemporaine au versement des pensions. Ce qui change,
c'est la nature et la dimension de la richesse qui permet le prélèvement
Dans le cas de la répartition, c'est la masse des salaires qui subit le prélèvement, faisant des retraites un
salaire différé et exprimant la solidarité intergénérationnelle de cette catégorie
d'acteurs économiques.
Dans le cas de la capitalisation on répartit le rendement des portefeuilles. Ce rendement dépend des dividendes et
intérêts que « rapportent » les différents actifs financiers ainsi que des plus-values
réalisées en Bourse, c'est à dire, in fine, de la spéculation en Bourse.
Dans la répartition, les revenus des salariés et des retraités sont liés ; dans la capitalisation, les
revenus des retraités dépendent des profits et de la spéculation (actuellement aux USA, les revenus des
retraités sont très élevés, du fait de la montée vertigineuse de la Bourse). Rappelons aussi que des
faillites des fonds de pension se sont déjà produites : avant la 2ème guerre mondiale en France, mais surtout en
Allemagne, au début de la crise de la 1ère moitié du XXème siècle, en 1923, puis plus récemment
aux USA, sans compter les patrons indélicats qui jouent et perdent en Bourse l'argent des fonds de pension, ou bien les fonds
qui tardent et rechignent à verser les pensions, même sous la contrainte de la justice, comme ces dernières
années en Angleterre.
Le risque dans la répartition est de voir diminuer les retraites ; dans la capitalisation, c'est le risque de la disparition
complète de la retraite.
* Discuter le diagnostic
Toutes les projections sont faites à structure économique constante. Le rapport Charpin va même jusqu'à
prévoir un taux de chômage « d'équilibre »(?) de 9 % pendant 40 ans. La productivité du
travail ne varie pas, il en va de même pour le partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits. Il est quand
même paradoxal de voir énoncer des prévisions à 20 ou 40 ans, alors même que les conjoncturistes
révisent tous les trois mois, et dans le plus grand désordre, leurs prévisions de croissance trimestrielle.
Pourquoi imaginer que le taux de chômage restera au niveau de crise actuel ? Et si l'investissement repart en France (ou sur
tout autre espace sur lequel les prélèvements auraient lieu), pourquoi mettre en premier plan la démographie? Il y a
suffisamment d'immigrés à la porte et d'enseignants pour les former, pour que la main-d'uvre
nécessaire soit disponible.
En fait, la variable déterminante est le volume des investissements (ainsi que leur nature) cette variable dépend
uniquement des décisions des entrepreneurs.
Par ailleurs, le diagnostic repose sur la mise en parallèle du nombre de retraités et celui des actifs. Or, en toute
rigueur, il faudrait comparer inactifs/actifs. On introduit là les jeunes, dont on sait que le taux d'activité en
France est très faible (taux de chômage, certes, mais surtout taux d'étudiants/classe d'àge).
Or, puisque la natalité est faible (à peine au niveau du taux de remplacement), le nombre d'inactifs jeunes va
diminuer... Donc cette part de charge sur les actifs diminuera aussi. L'arbitrage est alors politique entre éducation et
entretien des retraités.
Notons au passage que I'OCDE suggère à la France de diminuer le nombre d'étudiants, pour se rapprocher des
normes anglo-saxonnes...
* Discuter la durée de cotisation
On entend souvent dire que l'espérance de vie augmentant, les retraités auraient encore toutes les capacités
pour continuer à travailler et qu'ils s'ennuieraient. D'où la mesure d'allongement de la durée de
cotisations.
D'abord, l'espérance-vie sans incapacité s'est allongée d'un an et trois mois, en moyenne, pour les
hommes depuis 1980. Cette amélioration est sans doute due, en partie, à l'avancement de l'âge de la retraite
à 60 ans en 1982. Il paraît absurde alors de vouloir augmenter la durée de cotisations de 2,5 ans. Cette mesure est
en fait une pure hypocrisie: de plus en plus de salariés prennent leur retraite proportionnelle avant même 60 ans, soit
qu'ils acceptent les pénalités, soit que les plans sociaux de licenciement ne les inscrivent au Fonds National pour
l'Emploi.
En outre cette mesure percute directement avec la lutte contre le chômage.
Pourquoi cette propagande ?
La propagande massive et alarmiste sur le péril que court le système n'a qu'un but sauver la Bourse. Cette
dernière atteint des niveaux de spéculation jamais vus depuis 1945 (la valeur des actions atteint 30 à 50 fois les
dividendes annuels, alors que la norme implicite du capitalisme en période normale est de 7 à 10 fois le dividende). Ce
mouvement a besoin, pour continuer, d'être entretenu par un appel permanent et renouvelé à de nouvelles
ressources. Des critiques ont fait d'ailleurs remarquer que quand la génération des cotisants à des fonds
voudront, à leur retraite réaliser leurs avoirs (d'ici 10 à 20 ans), ils seront vendeurs nets d'une partie
des actifs financiers accumulés. Et puisque la génération suivante est moins nombreuse, le prix des actifs risque de
baisser. Le sauvetage de la Bourse sera de courte durée, à échéance bien plus proche que les 40 ans du
rapport Charpin.
On peut remarquer que les propositions du Président Clinton de placer en Bourse les excédents de sécurité
sociale (essentiellement des cotisations retraites) montre bien les perspectives. Martine Aubry a déjà évoqué
cette solution.
De plus, la signature de l'Uruguay round, en 1996 ouvre le territoire français aux entreprises étrangères
d'assurance vendant des services financiers, dont des fonds de pension. Si les liquidités mobilisables par les fonds ne sont
pas plus abondantes sur le marché, alors la concurrence sera plus féroce et les profits des institutions financières
risquent de baisser.
Ensuite le gouvernement français est préoccupé par l'affaiblissement de la place de Paris dans le monde de la
finance, après la constitution d'une alliance Londres-Frankfort. DSK a déjà affirmé que le
développement des fonds de pension constituerait une issue.
Enfin, les bénéfices idéologiques ne sont pas négligeables : les salariés seraient aussi des
capitalistes et deviendraient plus sensibles aux arguments du MEDEF. Le vieux rêve du capitalisme populaire et
généralisé serait enfin réalisé.
En d'autres termes, le passage à la capitalisation volerait au service de la Bourse et du système capitaliste qui
triompherait aussi à l'intérieur ses propres structures sociales.
En quoi la fonction publique est-elle concernée ?
Les salariés de la fonction publique relevant de I'IRCANTEC sont directement impliqués par le passage à la
capitalisation.
Pour les titulaires l'allongement de la durée de cotisation a un autre sens. Les salariés du cadre A de la fonction
publique auront des difficultés à totaliser 170 trimestres, d'autant qu'il n'est pas question de reculer
l'âge butoir de départ obligatoire. Donc ils n'auront pas la pension à taux plein. (cf. à ce sujet, la
presse de la fédération et des différents syndicats).
Or la question de l'équilibre des caisses ne se pose pas pour les titulaires. Et le refus de l'État d'honorer
ses engagements relève de la forfaiture.
La réponse doit être cherchée dans la recherche forcenée de l'équilibre budgétaire,
correspondant aux critères de Maastricht et au traité d'Amsterdam. DSK a même annoncé qu'il songe
à aller au-delà des contraintes imposées : les traités exigent des déficits budgétaires
inférieurs à 3 % du PIB DSK a annoncé pour 2000 un déficit à 2 %. Réduire le montant des
pensions contribuerait à l'équilibre.
Les aspects déflationnistes du libéralisme sont toujours d'actualité.
Peut-on imaginer des solutions ?
Dans ce domaine aussi les propositions abondent :
-
Sortir de la crise et retrouver des niveaux d'emploi qui renflouent les caisses. Plus vite dit que fait. Tant que les entreprises
feront de l'investissement de rationalité et spéculeront avec les profits au lieu d'investir, il n'y a pas
d'issue.
-
Augmenter les cotisations. Cela revient à renchérir le coût du travail et à modifier le partage de la Valeur
Ajoutée. Et les entreprises... (cf. ci-dessus).
-
Diminuer les retraites. L'AGIRC, devant des difficultés présentes, a déjà stabilisé les
retraites complémentaires des cadres en nominal.
-
Changer l'assiette des cotisations. La proposition est faite depuis longtemps par la CGT qui propose de prélever les
cotisations sociales à la source, sur la Valeur Ajoutée Brute (c'est bien en quelle que sorte ce qui se passe
déjà pour la fonction publique, puisque la seule « Valeur ajoutée » réside dans les salaires).
Une première expérience de modification d'assiette a déjà été faite pour l'assurance
maladie : la CSG. On peut formuler des reproches à l'égard de ce dispositif. Il fait porter les cotisations sur les
revenus imposables. Mais les revenus imposables du capital ont déjà bénéficié de plusieurs types
d'exonérations relevant de l'évasion fiscale (exonération sur les plus-values des stock-options, loi
Périssol, investissements dans les DOM, quirats, etc ... ). Le prélèvement à la source, sur la VAB semble
bien plus équitable.
-
Fiscaliser (prélever sous forme d'impôt) toutes les cotisations sociales. Ceci serait particulièrement choquant
pour les retraites : les retraités seraient les assistés de lette. Mais surtout, compte tenu du dogme de
l'équilibre budgétaire, feriez-vous confiance à un quelconque gouvernement ?
Alda DEL FORNO
N. B. : la Valeur Ajoutée Brute est la valeur que le processus de production rajoute aux produits qui y rentrent pour
être transformés
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