Que contient la proposition de directive Bolkestein ?
Le projet de directive s'applique à tous les services fournis aux entreprises et aux consommateurs, allant de la publicité,
l'embauche (y compris les agences d'intérim), au commerce, aux services de nettoyage et à la construction, exception
faite de certains secteurs déjà libéralisés : transport (plus de 3,5 tonnes), télécoms, services financiers.
Ne sont pas concernés également les services fournis directement et gratuitement par les pouvoirs publics. À part la police,
la justice (pas les avocats bien sûr), ou l'armée, aucun service public n'est « gratuit ». Le champ
d'application est donc très vaste ! Par conséquent, la directive s'applique aussi aux services publics. Ainsi, la
santé, l'éducation, la culture, les médias audiovisuels, les services des pouvoirs locaux,... seront
considérés comme de pures marchandises et entièrement soumis aux lois du marché, sans que l'on ne tienne compte de
leur caractère spécifique, ni de leur objectif social.
La directive interdit tous les obstacles qui ne sont pas justifiés par une raison impérieuse d'intérêt
général et qui constitueraient un frein à l'établissement d'une entreprise sur le territoire d'un État
membre. L'impact sera surtout perceptible dans le domaine des soins de santé où de nombreuses exigences risquent
d'être remises en question : limites quantitatives et territoriales pour les pharmacies, subsides liés à un statut
juridique particulier, normes tarifaires,... Les pouvoirs publics, à tous les niveaux, local, régional,..., se trouveront ainsi
dépossédés des moyens d'action leur permettant d'assurer une politique de santé de qualité et accessible
à tous. De la même manière, toute la sphère de l'économie sociale est menacée et en particulier celle
visant à l'insertion de groupes défavorisés sur le marché du travail. En effet, les activités de
l'économie sociale sont encadrées par des agréments dont le but est de garantir que les personnes fragilisées sont
bel et bien ciblées par les mesures. Or, rien ne garantit que ce système survivrait à l'entrée en vigueur de cette
directive sur les services. Dans ce cas, le gouvernement serait privé d'un levier important de la politique de l'emploi pour
insérer socialement ces personnes. Au-delà, on peut également s'interroger sur les conséquences quant à
l'accompagnement et la formation des travailleurs (chèque formation, systèmes d'accompagnement organisés par
décrets dans les régions, ...).
Pour mettre en place le marché intérieur des services, la directive repose notamment sur la suppression des autorisations et
exigences jugées inutiles et sur le principe du pays d'origine. Le principe du pays d'origine signifie qu'un prestataire
de service est exclusivement soumis à la loi du pays où il s'établit et non à la loi du pays où il fournit le
service. On se trouve ainsi en présence d'une incitation légale à délocaliser vers le pays où les exigences
fiscales, sociales et environnementales sont les plus faibles et d'y créer des entreprises « boîtes aux
lettres » qui, à partir de leur siège social, pourront essaimer sur l'ensemble du territoire de l'Union
européenne à des conditions défiant toute concurrence. Il en résultera une pression terrible sur les pays dont les
standards sociaux, fiscaux et environnementaux protègent davantage l'intérêt général : c'est le dumping
social et fiscal !
Où en est la procédure ?
C'est la procédure de codécision. Cette procédure, très complexe, comprend « trois lectures ».
La directive Bolkestein fera l'objet d'un débat au Parlement européen en session plénière le 14 février
prochain à Strasbourg suivi d'un vote. Les amendements seront examinés à l'occasion de ce débat. Cette date
inaugurera le parcours institutionnel qui, dans quelques mois, mènera ce projet à la table du Conseil des ministres où sont
représentés les gouvernements. Actuellement, nous en sommes à la première lecture. Mais cette étape va être
décisive pour la suite.
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Rappel de quelques prises de position avant le référendum du 29 mai 2005
- Réunie en Bureau, le 11 février 2005, l'Association des Maires de France a jugé
« inacceptable en l'état le texte de la proposition de directive européenne relative aux services dans le
marché intérieur, dite « directive Bolkestein », dans la mesure où elle concerne les Services
d'intérêt économique général (SIEG) et de ce fait certains services publics locaux. Ce texte lui
apparaît contraire aux principes de subsidiarité, de cohésion sociale et susceptible de porter atteinte à la
cohésion territoriale.
- La commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale française a adopté, le 1er mars
2005, un rapport qui demande une « remise à plat » de la directive européenne sur la libéralisation des
services qu'elle juge « inacceptable » en l'état. Dans un communiqué, le rapporteur, Robert Lecou
(UMP) :
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- Estime que « le principe d'une meilleure intégration des services dans l'Union
européenne n'est pas contestable puisqu'elle peut entraîner une meilleure dynamique, donc de la croissance et des
emplois » ;
- Juge cependant que « la méthode retenue et le fond de la proposition de directive sont, eux,
contestables » et demande « la remise à plat de cette directive inacceptable en l'état de sa
rédaction » et dont le champ d'application est « extrêmement vaste et
confus ». « Il faudra le redéfinir », poursuit-il, en proposant
« l'exclusion des services publics de cette directive ainsi que de nombreux autres secteurs tels que la santé,
la culture, l'audiovisuel, les professions juridiques règlementées, les jeux d'argent et l'ensemble des
transports » (Le Monde, 1er mars 2005).
- Le 2 mars 2005, Jacques Chirac a souhaité que ce texte controversé qui organise la libéralisation du marché des
services, soit « remis à plat ». Pour le Premier ministre de l'époque, Jean-Pierre Raffarin, qui
s'exprimait à l'Assemblée nationale, cette directive est tout simplement « inacceptable » et la
France prendra « tous les moyens pour s'opposer » à elle (L'Expansion, 2 mars 2005).
- À l'occasion de la présentation, le 16 mars 2005, de son rapport annuel, le Conseil d'État, la plus haute
juridiction administrative, a rendu public l'intégralité de son avis sur ce projet de « directive
Bolkestein », qu'il avait remis le 18 novembre 2004 au gouvernement. Interrogé par ce dernier sur
« l'incidence dans l'ordre juridique interne » de certaines dispositions de ce texte, le Conseil
d'État se montre pour le moins réservé : « Souveraineté nationale »,
« Égalité devant la loi », « Légalité des délits et des peines » : tels
sont, selon le Conseil d'État, les « principes fondamentaux de valeur constitutionnelle » que le projet de
directive Bolkestein « met en cause ».
- Une dépêche de l'AFP du 23 mars 2005 nous apprend que François Hollande, Premier secrétaire du PS, a
déclaré cejour-là : « On peut dire aujourd'hui que le projet de directive est arrêté et
abandonné ».
- Après ses passes d'armes avec le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, sur le projet
Bolkestein de libéralisation des services, le Président français a choisi de calmer le jeu, tout en se montrant très
ferme. Il n'a pas plaidé pour le retrait de la directive mais a réclamé, pour la première fois devant ses pairs, sa
« remise à plat complète ». « Ce texte - a-t-il répété - est
inacceptable pour la France, comme pour d'autres partenaires européens » (Le Monde, 23 mars 2005).
- Devant les députés, Claudie Haigneré, alors ministre déléguée aux Affaires européennes,
déclarait, début mars 2005 : « Le gouvernement considère que [ce texte] n'est pas acceptable en
l'état et doit faire l'objet d'une remise à plat. Nous voulons une autre directive que
celle-là ». Le compte rendu officiel de la séance fait état des « applaudissements sur les bancs
des groupes UMP et UDF ». Lors de cette séance, Marc Laffineur, porte-parole de l'UMP, renchérissait :
« Proposition inacceptable ». Anne-Marie Comparini, s'exprimant pour l'UDF, confirmait :
« Contraire à la conception européenne de la cohésion économique et sociale ». Pour le PS,
Jean-Louis Bianco n'y allait pas par quatre chemins : « La proposition de directive Bolkestein illustre, de façon
lumineuse, quelle Europe nous ne voulons pas ».
Certes, les députés et sénateurs ne siègent pas au Parlement européen : sont-ils prêts pour autant
à renoncer à leurs prérogatives au plan social, fiscal et environnemental ?
Nous voulons croire que les prises de position citées ci-dessus, à commencer par celle du Président de la République
évoquée au début de ce texte, n'étaient pas de circonstance. Il serait intolérable que la France ne rejette
pas la dernière version de ce projet de directive européenne : sa version initiale dite « directive
Bolkestein » n'a pas été fondamentalement modifiée. Le serait-elle, la directive n'a pour objet qu'une
dérégulation et une libéralisation de toutes les activités de services en Europe qui, jusqu'à présent, y
échappaient encore. Ce qui la rend « inacceptable pour la France » comme le soulignait Jacques Chirac (Le
Monde, 23 mars 2005).
À travers la mise en oeuvre du principe du pays d'origine, devenu par une argutie rhétorique « clause du
marché intérieur », ce texte, dans l'esprit de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS)
de l'OMC, est une incitation à la concurrence entre les États et les peuples. Il organise le dumping social, une moindre
protection des consommateurs, une remise en cause de la culture, un abaissement des normes environnementales et de santé publique. Ce
texte rend, de fait, impossible le contrôle de la puissance publique sur les entreprises de services. Et cela sans bénéfice
pour les habitants de ces pays qui auraient pu espérer voir l'intégration dans l'Union Européenne leur apporter des
salaires corrects. Leurs salaires stagneront et ils seront rejoints par les salariés d'Europe de l'Ouest dont les conditions
de vie seront dégradées. Il faut exiger une harmonisation par le haut, c'est à dire une harmonisation des conditions de
travail dans l'ensemble des pays de l'Union européenne qui s'aligne sur la législation offrant un haut degré de
protection aux travailleurs.
Attac-Isère, le 13 janvier 2006
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