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Union Européenne : Alerte rouge sur le 133


Les 7 et 8 décembre prochain, à Nice, se tiendra la dernière Conférence intergouvernementale de l'Union Européenne sous Présidence française.
A cette occasion, plusieurs réformes institutionnelles importantes seront proposées aux Etats membres. Parmi elles, la modification de l'article 133 du traité sur l'Union européenne modifierait fondamentalement, au profit de la Commission, l'exercice de la politique commerciale dans les domaines cruciaux que sont les services (dont l'éducation et la santé), la propriété intellectuelle et les investissements.


L'article 133

L'article 113 du traité de Rome, devenu article 133 dans le traité sur l'Union européenne modifié par le traité d'Amsterdam (le texte de l'article est reproduit à la fin de ce document), régit les relations entre les pays membres et la Commission européenne en matière de commerce extérieur. Il confie à la Commission l'élaboration et la mise en oeuvre exclusives de la politique commerciale commune de l'Union, sur la base de décisions du Conseil de l'Union européenne prises à la majorité qualifiée (voir encadré).

L'avis 1/94 du 18 novembre 1994 de la Cour de justice des Communautés européennes a précisé que les services et les droits de propriété intellectuelle étaient exclus du champ de cet article. Le contenu de cet arrêt a d'ailleurs été incorporé dans le traité d'Amsterdam de 1997 (article 133, paragraphe 5).
Ainsi, la Commission n'a de compétences extérieures exclusives dans ces domaines, comme dans celui de l'investissement, que sur la base d'un mandat de chacun des Etats membres, ce qui implique un vote unanime du Conseil et des procédures de ratification nationale des accords internationaux dans les quinze pays de l'Union.

C'est cette différence majeure qui, par exemple, en 1998, a permis au gouvernement français de Lionel Jospin de faire capoter, par son seul veto et après une forte mobilisation citoyenne, l'Accord Multilatéral sur l'Investissement (AMI) qui accordait des pouvoirs exorbitants aux investisseurs étrangers.


Qu'est ce que la majorité qualifiée ?

Dans un nombre croissant de domaines, les décisions au sein du Conseil de l'Union européenne (qui est composé d'un représentant de chacun des Etats membres) se prennent à la majorité dite qualifiée. Pour le calcul de cette majorité, chaque Etat dispose d'un nombre de voix reflétant de manière très imparfaite son poids démographique. Disposent de 10 voix, l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni ; de 8 voix, l'Espagne ; de 5 voix, la Belgique, la Grèce, les Pays-Bas et le Portugal ; de 4 voix, l'Autriche et la Suède ; de 3 voix, le Danemark, la Finlande et l'Irlande ; de 2 voix, le Luxembourg. Soit un total de 87 voix. Pour qu'une décision soit adoptée, il faut qu'elle réunisse 62 voix. Pour qu'elle soit rejetée, il faut donc réunir une minorité de blocage de 26 voix, par exemple celles de la France, de l'Italie, du Danemark et de l'Irlande.




Le rôle du Commissaire européen au commerce, Pascal Lamy

Depuis le mois de juillet, le Commissaire Pascal Lamy a entrepris une campagne pour obtenir une révision de l'article 133 afin que le régime de la majorité qualifiée s'applique également aux services (dont la santé et l'éducation, l'audiovisuel, les transports, l'environnement et tous les services publics), à la propriété intellectuelle (dont les OGM) et aux investissements.
Alors que l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS, voir encadré ci-dessous) est en cours de négociation à l'Organisation Mondiale du Commerce, cette réforme permettrait notamment à la Commission et à son négociateur Pascal Lamy d'obtenir, à la majorité qualifiée seulement, un mandat lui permettant d'engager l'Union européenne sur la voie d'une libéralisation totale des services.


L'AGCS

Après l'échec du lancement d'un cycle global à Seattle en décembre 1999, les négociations sur le commerce mondial ont repris à Genève. Leur objectif : libéraliser davantage le commerce des services comme s'y étaient engagés les pays membres de l'Organisation mondiale du commerce lors de la signature de l'acte final de l'Uruguay Round à Marrakech en 1994 qui contient l'Accord Général sur le Commerce des Services... L'enjeu est considérable : aujourd'hui, davantage que la production de biens, ce sont les services qui tirent l'économie mondiale. Tous les services de tous les secteurs, à l'exception des services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental (police et justice) sont concernés.
Services aux entreprises (juridiques, comptables, architecture, ingénierie, informatique, de publicité...), services de communication (dont l'audiovisuel), de construction, de distribution, d'éducation, d'environnement, services financiers, de santé et sociaux, tourisme, culture, sport, transports : rien n'échappe à l'AGCS. Pourtant, cet accord est négocié dans la plus grande opacité, sans que les citoyens soient réellement informés et sans que les élus soient même consultés sur le fond.




L'action du gouvernement français

La France s'est toujours fermement opposée à un accroissement des pouvoirs de l'Union européenne dans les négociations sur le commerce international. Or le gouvernement de Lionel Jospin semble aujourd'hui céder à la volonté du Commissaire " socialiste " qu'il a nommé et propose désormais aux pays membres de transformer, à Nice, l'article 133. Les textes que la France propose ne suggèrent même plus que l'article 133 puisse être conservé en l'état. Au contraire, la Présidence a rédigé deux options (voir encadré « Les propositions de la France pour la modification de l'article 133 ») dont la finalité est la même : étendre le champ d'application de la politique commerciale commune, décidée à la majorité qualifiée, aux services, à la propriété intellectuelle et à l'investissement (de façon plus ou moins directe, car l'AGCS protège les investissements étrangers).

S'il est vrai que le régime de la majorité qualifiée peut être désirable dans le domaine fiscal ou social où la règle de l'unanimité bloque tout progrès, son extension dans le domaine du commerce affaiblirait énormément les Etats et les Parlements nationaux, en donnant les pleins pouvoirs à la Commission européenne pour une libéralisation encore accrue.

***

L'extension du régime à la majorité qualifiée est un des outils de réforme de l'Union européenne, notamment dans la perspective de son élargissement. Néanmoins, la modification de l'article 133 constitue un grave danger pour les services publics, l'éducation, la santé dans l'Union européenne, notamment en France. Les négociations commerciales passées nous ont clairement montré le visage ultra-libéral de la Commission européenne. Les fortes mobilisations des derniers mois (AMI, Seattle, Millau, Genève, Prague...) ont prouvé que cette orientation n'était pas voulue, ni acceptée par les citoyens européens.

ATTAC s'oppose formellement à une modification de l'article 133 et à toute réforme " institutionnelle " qui donnerait davantage de pouvoirs à la Commission européenne en matière de négociations commerciales et affaiblirait d'autant la démocratie.

 

L'article 133 du Traité sur l'Union européenne

1. La politique commerciale commune est fondée sur des principes uniformes, notamment en ce qui concerne les modifications tarifaires, la conclusion d'accords tarifaires et commerciaux, l'uniformisation des mesures de libération, la politique d'exportation, ainsi que les mesures de défense commerciale, dont celles à prendre en cas de dumping et de subventions.

2. La Commission, pour la mise en oeuvre de la politique commerciale commune, soumet des propositions au Conseil.

3. Si des accords avec un ou plusieurs Etats ou organisations internationales doivent être négociés, la Commission présente des recommandations au Conseil, qui l'autorise à ouvrir les négociations nécessaires.
Ces négociations sont conduites par la Commission en consultation avec un comité spécial désigné par le Conseil pour l'assister dans cette tâche et dans le cadre des directives que le Conseil peut lui adresser.

Les dispositions pertinentes de l'article 300 sont applicables.

4. Dans l'exercice des compétences qui lui sont attribuées par le présent article, le Conseil statue à la majorité qualifiée.

5. Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut étendre l'application des paragraphes 1 à 4 aux négociations et accords internationaux concernant les services et les droits de propriété intellectuelle dans la mesure où ils ne sont pas visés par ces paragraphes.



 

Les propositions de la France pour la modification de l'article 133
Note de la Présidence française, en date du 26 octobre 2000
(Sur l'Internet : europa.eu.int/comm/igc2000/geninfo/confer4789_fr.pdf)

CONCLUSION D'ACCORDS INTERNATIONAUX DANS LE DOMAINE DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE ET DES SERVICES


Les questions traitées dans la plupart des accords bilatéraux commerciaux et dans le cadre de l'OMC relevant en partie de la compétence exclusive de la Communauté et de la compétence des États membres, la position commune de l'Union doit généralement être adoptée de commun accord, ce qui comporte un risque de blocage qui s'aggravera avec les futurs élargissements.
A la lumière des dernières discussions sur cette question, les Représentants sont invités d'examiner les deux options suivantes:

Option 1
Prévoir une extension du champ d'application de la politique commerciale commune pour couvrir les services, les investissements et les droits de propriété intellectuelle en ajoutant une telle référence au premier paragraphe de l'article 133.

Option 2
Prévoir une extension du champ d'application de la politique commerciale commune pour couvrir les services, et les droits de propriété intellectuelle en couvrant certains aspects précis de ces domaines (à énumérer dans un protocole) par l'ajout d'un nouveau paragraphe 5 qui remplacerait le paragraphe 5 actuel.

Au-delà de ces deux options, les Représentants sont invités à se prononcer sur l'opportunité d'inclure également dans le traité un nouveau protocole établissant des règles de procédure qui permettraient d'établir dans tous les cas une position commune dans le cadre de l'OMC à la majorité qualifiée.



 
 



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